Toute œuvre d'art reste un mystère, y compris pour son auteur (Iouri Mamlelev) (citation trouvée dans À la table des philosophes de Normand Baillargeon, Flamarion; délicieux livre que je vous conseille)

Ainsi l'Art serait une émergence qui recèle une part irréductible de mystère, d'où sa dimension initiatique (on s'initie …). Pour parler d'Art, il faut d'abord parler d'Œuvre, en l'absence d'œuvre, on ne peut pas imaginer un Art ni un Artiste.
Pour émerger, une œuvre nécessite

  • un Artiste qui a sa propre histoire:
    • doté d'une sensibilité, d'une intelligence et d'une volonté créatrice,
    • qui a un but esthétique ou social (perception, sensation, émotion, idée, illumination, message, sentiment, …)
  • un média pour qu'elle prenne réalité :
    • une technologie,
    • des règles et normes,
    • des tours de main, qu'ils soient appris ou créés par l'Auteur (savoir faire)
  • un environnement, une culture qui est une connaissance de l'Art via les œuvres produites par d'autres artistes et qui nous permet de reconnaître qu'un objet est (ou peut-être, ou devenir) une œuvre. Et bien sûr, il faut des Amateurs, un public.

Comment cette émergence se fait ?, on en sait bien des choses, mais pas tout. On peut s'y former par apprentissage et initiation, mais il reste toujours une part irréductible de mystère.

On boucle, l'Art est une émergence : les œuvres créent l'Art qui ne peut exister que par les œuvres, dans une spirale pleine de surprises et de mystères (Michel Serres dirait des bifurcations surprenantes et imprévisibles): l'art, c'est (comme) la vie.

Ainsi, je ne pense pas qu'un Auteur tout seul sans aucune référence à l'Art puisse revendiquer le caractère artistique de son œuvre, pour ce faire, elle doit participer à la dimension culturelle et collective de l'Art. Mais bien sûr, rien n'interdit à quiconque de faire quelque chose de nouveau (au sens que personne n'a vu tel que) qu'il aime et qui plus tard sera considéré comme une œuvre d'Art (Van Gogh n'a vendu qu'un tableau, mais il n'est pas parti de rien, ni tout seul, il suffit de lire les lettres à Théo pour le comprendre).

Ainsi, les dessins d'enfant spontanés, aussi beaux soient-ils, ne sont pas des œuvres d'art (il est cependant frappant qu'ils se ressemblent tous, c'est une chose à approfondir, là aussi les philosophes peuvent nous guider)

Pour le concept d'émergence, voir en particulier Edgar Morin: “La méthode”, “La voie” (pour l'image de la métamorphose) et surtout son petit livre “connaissance, ignorance, mystère”. Et aussi le concept de bifurcation de Michel Serres dans le gaucher boiteux, puissance de la pensée. Ou encore l'esprit des formes ou l’histoire de l'art d'Élie Faure.

La réflexion ci-dessus est centrée sur l'œuvre, c'est essentiel pour un Artiste qui veut vivre de ses œuvres et c'est ce qui reste après lui.

Mais pour l'Amateur c'est différent, car pour lui ce qui compte, c'est avant tout le processus, sa motivation est le plaisir qu'il retire de la création artistique. Évidemment, la création artistique n'a des sens que si elle débouche sur une œuvre. Ici encore, on boucle (penser à la Méthode de Edgar Morin).

Nous vivons dans une société marchande organisée : l'organisation de la société implique une spécialisation des rôles, elle est marchande, car le recours aux autres se fait par le biais de l'argent.

À ce sujet, il y a 2 questions importantes, sur lesquelles j'ai réfléchi (en particulier en raison de mon implication dans le logiciel : le logiciel libre est un bien commun tout comme l'Art) :

  • Les artistes doivent vivre
  • ils ont donc besoin d'être rémunéré pour leurs œuvres
  • à travers le temps il y a eu plusieurs solutions comme le mécénat
  • une solution émerge : allez visiter le site de Gwenn Seemel, c'est passionnant, rafraîchissant, et illustre une voie pour sortir de notre économie libertarienne qui creuse l'écart entre les riches et les autres au détriment de notre planète.
  • en ce qui nous concerne j'ai une assez bonne retraite et je ne compte pas sur mes aquarelles pour vivre, je ne traite donc pas cette problématique ici
  • L'art est un marché de spéculation : c'est un fait qui ne profite pas aux qu'au artistes (en fait très peu), je ne traite donc pas non plus cette problématique ici, d'autant plus que ça me fâche.

Pour une initiation ou un rafraîchissement sur les concepts économiques, je vous conseille “antimanuel d'économie” de Bernard Maris, surtout le remarquable et passionnant tome 2 : “les cigales”. En ce qui concerne l'économie je vous conseille ECONOMIX : La première histoire de l'économie en BD., David Burr, MichaelGoodwin, un autre bijou de vulgarisation.

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  • Dernière modification : 2023/09/14 20:57
  • de dp