La vision
La vision humaine
La vision humaine est fantastique, on en a une bonne idée : nos perceptions sont le résultat d'un organe très élaboré, notre œil, qui travaille en relation étroite avec notre cerveau : comment se fait-il que notre cerveau nous fasse voir ceci :
à partir d'une multitude de spectres pour chacune de ses parties (fleur, feuillage, terre, …) dont ici celui des pétales de la fleur
Quand on étudie la vision humaine, on peut penser qu'il a fallu une formidable intelligence pour l'inventer, et ainsi conforter la vision des créationnistes, mais en fait les biologistes savent maintenant expliquer comment l'évolution au sens de Darwin a pu progressivement “créer” de multiples versions de cet organe extraordinairement complexe qui sous différentes formes se retrouve dans la quasi-totalité des organismes vivants. Darwin avait anticipé cette difficulté et proposait de la résoudre en imaginant l'apparition d'un œil primitif très simple qui puisse résulter d'une évolution des premières cellules nerveuses existantes et à partir de là envisager une multitude d'évolutions dont une des branches débouche sur l’œil humain. Les biologistes ont identifié cette cellule nerveuse primitive que l'on trouve au cœur de tous les yeux (Jean Deutsch, La méduse qui fait de l’œil et autres merveilles de l'évolution, Seuil, 2017, page 14).
Cet œil primitif se trouve dans les membranes de certaines cellules nerveuses, il est sensible aux photons qui produisent un changement chimique de sa structure, lequel induit un flux électrique qui peut ensuite être communiqué par les neurones. Si cet œil est recouvert par une cellule pigmentée, il ne détecte que les photons qui ne sont pas absorbés par la pigmentation : et voilà l'essentiel de la capture de la lumière, c'est extraordinaire, mais initialement ce n'est qu'un petit pas de plus de la vie. Eric Nilson a estimé que 800 étapes suffisaient pour constituer une rétine en forme de coupe et 2000 pour atteindre les performances d'un appareil photo en 400 000 ans alors que notre ancêtre commun est apparu il y a plus d'un milliard d'années. La vie a tout son temps !
L’œil est le résultat d'une évolution indispensable pour la vie animale, sans voir comment se protéger ou se nourrir ?
L’œil humain est complexe, les flux lumineux sont acheminés à la rétine par des lentilles qui les concentrent d'une manière particulière, quand il le fait mal, on voit flou (ce qui peut se corriger par des lunettes et on peut l’améliorer avec une loupe ou divers appareils optiques).
Voici ses principales composantes
- le cristallin : il permet de projeter ou concentrer la lumière sous la forme d'un flux lumineux utilisable par la rétine, il est mobile et ajustable plus ou moins rapidement. Il reçoit la lumière qui est contrôlée par la pupille qui s'ajuste à la lumière, l'ajustement donne à la vision une grande plage dynamique (20 à 24 EV) et protège contre l'éblouissement (éviter de brûler la rétine)
- la rétine : elle est tapissée de cellules ultra-spécialisées (les cônes et les bâtonnets), ce sont des capteurs de photons sensibles soit à leur nombre (intensité lumineuse) soit à leur fréquence (couleur) grâce à un filtre fait de cellules pigmentées.
- Chacune de ces cellules, très petite, transmet au cerveau la lumière reçue sous la forme d'un message électrique via le nerf optique
- Les cônes captent la lumière suivant 3 groupes de fréquence, l'un centré sur le bleu, l'autre le vert et l'autre le rouge
- Les bâtonnets captent l'intensité de la lumière, ils sont sensibles (penser à la nuit tous les chats sont gris). Ces cellules sont plus performantes quand l'intensité est petite que quand elle est grande, ce qui prévient de l'éblouissement (c'est sûrement le résultat de l'évolution, le danger vient de l'ombre… disent certains). On dit que leur comportement est non linéaire (représenté mathématiquement par une fonction gamma).
Les cônes et bâtonnets sont sensibles à une portion du spectre visible, c'est bien une portion et non pas une fréquence précise, et c'est ce qui va permettre au cerveau de nous montrer toutes les couleurs du spectre par traitement des informations envoyées par les cônes et bâtonnets.
L'angle de vision nette (fovéa) est tout petit (6 degrés) et celui de la couleur fait 60 degrés : c'est ce qui permet à l’œil de distinguer de fins détails malgré la dimension réduite de la rétine. L’œil “filme” en permanence, ni l’œil, ni le cerveau prennent des photos l'une après l'autre. Comme la rétine ne voit qu'un petit faisceau à la fois, l’œil balaye en permanence très vite la scène sans que l'on en ait conscience (60 fois par seconde). Ainsi, même si la zone de netteté est petite, ce balayage permet au cerveau de construire une vision large.
Je conseille fortement de regarder cette conférence de Gérard Barry qui bien que faite par un mathématicien photographe, concerne aussi les peintres : https://darktable.fr/2019/06/comment-linformatique-change-la-photographie/
Le cerveau est capable à partir des messages reçus de manière continue de fabriquer une représentation colorée de la scène, il:
- effectue une synthèse des couleurs pour produire une vaste gamme de couleurs
- est sensible aux contrastes, ce qui permet au cerveau de voir des formes.
- rectifie la couleur des sources pour faire apparaître blanc ce qu'il pense blanc.
- construit une image de très grande profondeur de champ, car elle est le résultat combiné de plusieurs vues, grâce au balayage incessant de la scène.
- ajuste les zones sombres et claires pour composer une image équilibrée
- se fait avoir (illusions graphiques)
- a tendance à omettre, modifier ou même ajouter des éléments de la scène observée (problème de la véracité des témoignages).
- peut cependant avoir besoin d'aide : par exemple lunettes de vue
Le cerveau nous fait voir toutes les couleurs par traitement à partir des captures des cônes et bâtonnets. L'énergie absorbée par le pigment est transformée en influx nerveux. Chacun des cônes est sensible à une fraction du spectre centrée sur une fréquence, ainsi l'ensemble du spectre est couvert et complété par l'information apportée par les bâtonnets :
Ainsi le cerveau, à partir de la couleur qu'il fabrique pour chacune des petites parties de la scène qu'il reçoit, nous montre une vue globale et il le fait suffisamment vite pour que notre vision du mouvement soit continue, d'autant plus qu'il effectue des corrections en fonction de son évaluation de la qualité de la lumière. Ce faisant, il ne nous montre pas tout et n'enregistre pas tout, il est sélectif et il peut se faire abuser comme on le voit avec ce qu'on appelle les aberrations optiques.
Il est cependant difficile de voir à partir des spectres d’absorption ci-dessus comment le cerveau arrive à nous en faire voir de toutes les couleurs et pourtant c'est bien ce qu'il fait.
C'est ce que font les peintres en mélangeant leurs pigments et les photographes en activant leurs algorithmes sur les mesures de leurs capteurs numériques afin de produire des images que nos yeux et cerveaux contempleront et interpréterons.
Voici par exemple la réponse du capteur Bayer pour les trois filtres rouge, vert et bleu des appareils photo, il tente de reproduire la capture effectuée par les cônes. Le travail du cerveau est ensuite effectué par les algorithmes:
Ce que nous percevons est donc une construction à partir des signaux électriques émis par la rétine dans notre cerveau. Notre cerveau est algorithmique et partial, il n'a pas le choix, il faut qu'il trie et sélectionne, et pour ça il privilégie ce qu'il connaît déjà.
https://www.canal-u.tv/video/universite_rennes_2_crea_cim/voir_en_couleur.14534